Du grain à moudre
D’une gazette à l’autre, les films se succèdent parfois un peu vite, les événements aussi. Mais il y a aussi des moments dont on aura plaisir à se souvenir comme
la soirée du 14 décembre dernier : la venue de
Mouss et Hakim, la projection du film
LA GRAINE ET LA MULET dans l’effervescence du concert et la joie des spectateurs à la sortie.
Abdellatif Kéchiche fait partie de ces réalisateurs pour lesquels faire un film est un désir brûlant et qui y laissent à chaque fois un peu de leur peau. Alors voir une salle pleine applaudir après deux heures et demie de projection, puis s’attarder dans la Taverne après minuit pour discuter de ce film qui sans doute nous habitera longtemps, cela fait forcément plaisir.
LA GRAINE ET LE MULET vient de recevoir
le Prix Louis Delluc qui récompense la meilleure œuvre française de l’année. En 2006, c’était LADY CHATTERLEY qui s’était vu distinguer. Le rapprochement est intéressant, car ces deux films tout sauf formatés aux – supposés - goûts du public ont rencontré ou sont en passe de rencontrer un large public. Lors de son fameux discours des César,
Pascale Ferran s’était alarmée du risque de disparition du cinéma du «milieu», intermédiaire entre un cinéma grand public et un cinéma d’auteur poussé dans la marge. LA GRAINE ET LE MULET se situe justement à la croisée de ce cinéma populaire (parce qu’il parle du peuple et qu’il s’adresse à tous) et d’un cinéma artistiquement ambitieux. A l’Atalante, le film a réalisé plus de 1000 entrées sur la semaine de sa sortie. Preuve s’il en fallait une de la vitalité d’un certain cinéma français contrairement à l’idée trop souvent véhiculée : film français = nombriliste = ennuyeux. Preuve aussi que la durée n’est pas rédhibitoire aux yeux du public si le désir est là. Tant mieux car vous aurez intérêt à aménager votre emploi du temps pour découvrir le dernier film de Sean Penn
INTO THE WILD, mais aussi CALIFORNIA DREAMIN’, RUE SANTA FE, I’M NOT THERE ou encore
LUMIERE SILENCIEUSE…
Que ces films-là puissent exister est précieux, car ces œuvres atypiques dans leur contenu ou leurs parti-pris esthétiques sont souvent à la marge du modèle dominant, voire à rebours des valeurs véhiculées par la société actuelle (comme vient le rappeler ironiquement le titre du dernier film de Ken Loach,
IT’S A FREE WORLD). Or on le sait, l’existence de ces films est toujours fragile, et le contexte actuel nous donne quelques raisons de nous inquiéter (démantèlement de l’action culturelle en région, récentes attaques des multiplexes contre les indépendants et les salles municipales, etc …). Mais de tout cela nous reparlerons dans un prochain édito…
En attendant, toute l’équipe de l’Atalante et de l’Autre Cinéma se joint à moi pour vous souhaiter une très belle année 2008, qui nous amènera espérons-le plein de raisons de nous réjouir et de rêver…
Sylvie Larroque