L’ère du soupçon généralisé Avec la proposition de
tests ADN pour les candidats au regroupement familial,
les menaces de procès contre les maires qui soutiendraient les sans papiers par des parrainages républicains, l’ère du soupçon semble s’être installée depuis quelques mois.
Cette méfiance à l’égard d’une frange de la population au profit d’un repli sur soi va de pair avec une banalisation de la xénophobie. Il y a quelques jours, deux auditeurs intervenaient en direct au cours du « Téléphone sonne », de France Inter: l’un citait en exemple le choix de l’Allemagne, celui de la « répartition » des immigrés sur tout le territoire. Il connaissait d’ailleurs une famille bosniaque totalement « intégrée » qui bénéficiait d’une « surveillance » vigilante de la part de toute la communauté. Une autre auditrice posait carrément la question : « a-t-on vraiment besoin aujourd’hui de l’immigration ? ».
Oui nous dit-on, mais de l’immigration choisie, triée sur le volet.
De ces glissements insidieux, on trouve évidemment des échos dans le cinéma et en particulier sur quelques films dans cette gazette. Après avoir filmé les exclus et les sans papiers dans
PARIA et
LA BLESSURE, Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval se sont intéressés dans
LA QUESTION HUMAINE à ceux qui sont au cœur du système, les cadres triomphants, pour esquisser un parallèle osé avec le passé récent (déjà présent dans
le livre de
François Emmanuel dont ils se sont inspirés). Quand dégraisser, réduire les coûts et accroître la flexibilité revient à écarter le facteur humain pour se débarrasser des plus faibles.
Les cabinets de recrutement et le recours à la main d’œuvre immigrée, c’est aussi le sujet du dernier Ken Loach intitulé ironiquement
IT’S A FREE WORLD, que vous aurez le privilège de découvrir en avant-première le 9 octobre (le film ne sortira qu’en février prochain).
THIS IS ENGLAND, le film-phare de notre travelling sur la Grande-Bretagne, propose un retour sur les années 80 où les réformes de Thatcher ont durement touché les plus défavorisés, pour montrer la dérive identitaire et la violence des skinheads dirigée contre une cible désignée, les immigrés.
En réaction à la création du Ministère de l’immigration et de l’identité nationale, les écrivains Patrick Chamoiseau et Edouard Glissant, inventeurs du concept de « Mondialité », ont écrit un très beau texte en forme d’appel sur le danger du « mur » et sur la
notion d’identité. A l’asphyxie identitaire et à la crispation de l’intégration, il opposent la diversité des « imaginaires » et rappellent : « Les arts, les littératures, les musiques et les chants fraternisent par des voies d’imaginaires qui ne connaissant plus rien aux seules géographies nationales ou aux langues orgueilleuses dans leur à-part ».
La beauté du cinéma, c’est de nous faire voyager à travers une multiplicité de langues, de lieux, de façons de penser, de bousculer les frontières et les représentations que nous nous faisons du monde.
Alors libérez vos imaginaires…
Sylvie Larroque